Pistorius n'est pas «coupable de meurtre»
CLAUDINE RENAUD Agence France-Presse PRETORIA
La juge dans le procès d'Oscar Pistorius a exclu jeudi sa culpabilité pour meurtre, soulignant qu'on ne pouvait pas ignorer le fait que le champion ait cru à tort que sa vie était menacée au moment où il a tiré, tuant sa petite amie qui était aux toilettes.
«Il découle donc que l'accusé croyait que sa vie était en danger, et qu'il ne peut donc en conséquence être reconnu coupable de meurtre», a déclaré la juge Thokozile Masipa, qui peut encore condamner l'athlète handicapé pour homicide involontaire ou l'acquitter.
La juge au procès d'Oscar Pistorius a expliqué plus tôt qu'elle ne pouvait pas retenir la thèse de la préméditation à l'encontre du champion handisport sud-africain accusé du meurtre de sa petite amie en 2013, sans se prononcer à ce stade sur sa culpabilité.
«Le parquet (la poursuite) n'a pas démontré au-delà du doute raisonnable que l'accusé était coupable de meurtre avec préméditation», a déclaré la magistrate Thokozile Masipa, non sans avoir souligné que le champion lui avait semblé ne pas dire la vérité à la barre.
La juge a estimé que le champion paralympique a agi «en toute conscience» lorsqu'il a pris une arme pour tirer sur sa victime, a-t-elle dit au cours de la lecture de son jugement jeudi.
«Il a décidé de prendre son arme, en d'autres termes, il a pris une décision en toute conscience (...) la cour estime qu'à ce moment-là, l'accusé était capable de distinguer entre le bien et le mal, et qu'il pouvait agir conformément à cette distinction», a déclaré Thokozile Masipa, qui doit rendre son verdict dans ce procès pour le meurtre de la jeune Reeva Steenkamp, tuée en février 2013. «Il a été un très mauvais témoin (et s'est montré) évasif», a-t-elle ajouté.
Pendant des heures voire un, deux, trois jours, la juge Thokozile Masipa va lui lire un récapitulatif fleuve des charges et des faits reprochés.
La peine de prison éventuelle ne sera pas prononcée en même temps que le verdict, mais séparément dans trois ou quatre semaines à l'issue d'un autre mini-procès où la défense pourra plaider des circonstances atténuantes, le handicap, etc.
L'athlète double amputé est accusé d'avoir tué sa petite amie le jour de la Saint-Valentin 2013. Sa victime Reeva Steenkamp, un mannequin de 29 ans, passait la nuit chez lui. Ils se connaissaient depuis trois mois.
Seul témoin et seul survivant, Pistorius affirme avoir fait une «erreur», croyant à l'intrusion d'un cambrioleur et tirant sur la porte fermée de ses toilettes, sans voir sa victime. Un mensonge selon l'accusation.
Vedette des Jeux olympiques de Londres de 2012, Pistorius avait couru avec des valides, une performance couronnant des années de bataille juridique pour faire homologuer ses prothèses en carbone qui donna un rayonnement à tout le handisport.
Le meurtre a brisé sa carrière mais n'a pas mis fin à l'intérêt des médias du monde entier qui devraient se bousculer à l'audience à partir de 09h30 (03h30, heure de Montréal) dans une effervescence qui n'aura d'égal que l'austérité des heures qui suivront.
«La juge va lire les charges, normalement en commençant par les charges mineures, puis récapituler tous les faits. C'est pour cela que cela va prendre du temps», explique à l'AFP Me Audrey Berndt, avocate française au barreau de Johannesburg.
«Ce n'est pas comme dans les films américains où le jury remet un petit papier au juge. Ici, il n'y a pas de jurés, c'est la juge avec ses deux assesseurs qui décident, et ils ne peuvent pas juste donner leur opinion, j'aime ou j'aime pas Pistorius, ils doivent expliquer comment ils sont arrivés à leur décision», dit-elle.
Passible de la perpétuité
La lecture du jugement s'annonce d'autant plus minutieuse que la juge Masipa, depuis le début du procès le 3 mars, s'applique à ne rien laisser au hasard, et à laisser le moins de marge de manoeuvre possible à la défense pour se pourvoir en appel.
Indirectement, elle travaille à redresser l'image de la justice sud-africaine qui peine à se montrer aussi exemplaire envers la majorité des justiciables, dans un pays où les plus pauvres n'hésitent pas à se faire directement vengeance en groupe contre les auteurs de délits, lynchant pour un vol de portable ou un viol d'enfant.
Contrairement à l'ex-footballeur américain OJ Simpson, acquitté de l'assassinat de sa femme en 2005, Pistorius a peu de chance d'être totalement innocenté.
«Cela me paraît difficile, estime l'avocat David Dadic. Cela créerait un précédent terrible si une personne peut être acquittée pour un tel comportement.»
«Le fait que Pistorius ait tiré et tué quelqu'un n'est pas en doute», souligne aussi Me Berndt.
Ce que la justice doit prouver, au-delà du doute raisonnable, c'est l'intention qu'avait Pistorius au moment de tirer. «C'est là-dessus qu'ils vont décider s'il est coupable de meurtre, ou d'homicide involontaire», ajoute-t-elle.
Lui-même a répété à la barre : «Je n'ai pas eu le temps de penser. J'ai entendu du bruit, j'ai pensé que quelqu'un était venu m'attaquer, donc j'ai tiré.»
Une version improbable selon l'accusation qui s'appuie sur le témoignage de voisins réveillés par des cris mais qui n'ont rien vu.
Le parquet souligne aussi que Pistorius a tiré quatre fois. L'arme était chargée de balles expansives. Il ne s'en séparait jamais et la plaçait sous son lit pour dormir, à l'image de sa mère décédée qui dormait avec un pistolet sous l'oreiller.
L'accusation avance aussi que le jeune homme de 27 ans se disputait souvent, même en compétition, et avait tendance à se comporter comme si tout lui était permis, notamment avec les armes à feu. Deux infractions à la loi sur le port d'armes ont été jointes au dossier.
Passible de la perpétuité (25 ans incompressibles) s'il est jugé coupable de meurtre, Pistorius pourrait obtenir une peine plus légère voire rester en liberté sous caution en attendant d'avoir épuisé tous les recours.